Le MotoGP face à ses « limites » ?



Jamais les pilotes MotoGP, dans leur ensemble, n’ont été aussi performants. Les records tombent les uns derrière les autres, sur des machines plus évoluées que jamais. Mais les événements du Grand Prix d’Espagne, à Jerez, ont soulevé différentes questions face à ces prouesses sportives et technologiques. Celles des exigences physiques d’une telle compétition, et de la sécurité des circuits. GP-Inside y était et vous raconte.

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Le MotoGP est plus rapide que jamais. Oui, on sait, on le répète chaque année, parce que c’est chaque fois le cas. Mais ces dernières semaines, cette affirmation a plus de sens que jamais. On vient d’en avoir une nouvelle peuve à Jerez, où la barre des 300 km/h a été franchie pour la première fois pendant le Grand Prix d’Espagne. Johann Zarco (300,8 km/h) et Francesco Bagnaia (300 km/h) l’ont fait en course, dans une ligne droite dont la longueur n’est pourtant que de 607 mètres.

300 km/h ? Beaucoup, mais pourtant loin du record absolu battu par le même Johann Zarco cinq semaines plus tôt au circuit de Losail : 362,4 km/h. Le premier Grand Prix du Qatar, en 2004, avait vu Max Biaggi monter à 334,4 km/h. Dix ans plus tard, Marc Marquez était flashé à 348,3 km/h. La même vitesse est aujourd’hui considérée comme peu compétitive là-bas,

« Quand on se dit qu’on va à 350 km/h et qu’on est lents par rapport aux autres, c’est fou ! », faisait justement remarquer Fabio Quartararo au Qatar. « 362 km/h, c’est très vite, mais ce n’est qu’une ligne droite de 1 000 mètres ! Si nous étions sur l’autoroute, nous arriverions à des vitesses… incroyables », ajoutait Aleix Espargaro. Les records du genre sont généralement battus au circuit du Mugello, théâtre du Grand Prix d’Italie. Andrea Dovizioso était monté à 356,7 km/h en 2019. Certains, comme Jorge Lorenzo, se demandent si cette année, les pilotes Ducati ne vont pas frôler les 370 km/h.

Une moto qui ne dépasse pas 350 km/h est désormais considérée comme « lente » en MotoGP.

Les prototypes confiés aux pilotes n’ont jamais été aussi évolués. Moteurs, suspensions, freins, pneus, éléments aérodynamiques : rien n’est laissé au hasard. On pense avoir tout vu, et les ingénieurs nous font mentir d’une année à l’autre. Les performances atteignent des sommets, et on ne parle pas là d’un pilote ou d’une moto en particulière, mais de la vitesse globale du peloton. Ces dernières années, un tour en petit 1’37 assurait une place en première ligne à Jerez. Samedi, Joan Mir a roulé en 1’37.154 et ne s’est qualifié que dixième.

Pilote le plus expérimenté de l’histoire, Valentino Rossi est le parfait témoin de ces évolutions. Ses courses de Jerez 2020 et 2021 se sont terminées dans des chronos quasiment identiques (41 min 28 sec 212 l’an dernier, 41 min 28 sec 333 ce week-end). Sur 25 tours, le vétéran italien a perdu 121 millièmes en un an. Sauf que ce temps total qui lui permettait de finir 3e en 2020, vaut désormais une 17e place. En mai 2016, Valentino Rossi remportait le Grand Prix d’Espagne en roulant avec des chronos de 1’40/petit 1’41. Cinq ans plus tard, Lorenzo Savadori, 19e, a passé la quasi-totalité de sa course en 1’39. Le rythme qui te faisait gagner il y a quelques années te donnerait aujourd’hui la dernière place.

Bref, le MotoGP n’est jamais allé aussi vite et ça se vérifie à peu près partout, sur tous les aspects.

Mais si ces prouesses sportives et technologiques impressionnent, certaines de ses conséquences commencent à faire surgir des questions dans le paddock. « J’en suis à commencer à avoir peur pour eux », a-t-on par exemple entendu à Jerez, dimanche dernier. Et l’étincelle qui a soulever ces questions, c’est l’effrayante chute de Marc Marquez lors de la troisième séance d’essais libres.

La chute de Marc Marquez à Jerez a fait bouger les lignes.

Tombé dans le virage 7, le pilote Honda a foncé à pleine vitesse dans les protections du circuit (airfence), les heurtant de plein fouet. Plus de peur que de mal, puisqu’il ne s’est rien cassé et que la moto ne l’a pas touché. Il peut remercier ses équipementiers et son corps surentraîné. Ce n’est pas la première que l’on assiste à cela, mais ces scènes commencent à (et risquent de) se répéter. Il apparaît clairement que certains circuits ne sont plus adaptés à la vitesse à laquelle arrivent désormais les pilotes.

« On va chaque fois plus vite et il y a des circuits plus vieux, comme Jerez ou Mugello, qui deviennent petits », pointait Marc Marquez à l’arrivée du Grand Prix d’Espagne. Le tracé de Jerez a été construit dans les années 80, à un moment où les chronos des meilleurs étaient d’un tout autre ordre. En 2002, première année de la série MotoGP, le record du circuit était de 1’42.163. Il est aujourd’hui de 1’36.584. Presque six secondes de moins, ce qui représente des dizaines de km/h en plus à peu près partout..

Valentino Rossi était déjà là à l’époque, et témoigne : « Jerez a quelques endroits où l’échappatoire n’est pas suffisant pour la vitesse du MotoGP, mais je pense que beaucoup de circuits au calendrier sont plus ou moins à ce niveau. En commission de sécurité ils ont parlé de travailler là-dessus et je l’espère, parce que c’est très important. Nous devons améliorer la sécurité parce que les performances des motos, des pneus et des freins sont chaque fois meilleures, donc il faut plus de voies d’échappement. »

Que faire, alors ? Agrandir les échappatoires, oui, le problème étant qu’il y a parfois une limite naturelle à cela. Améliorer les dispositifs censés freiner les pilotes, aussi. Jack Miller a proposé d’implanter à Jerez la même texture de graviers qu’au Motorland Aragon, complexe plus récent. Mais la question qui commence à remonter : ne va-t-on pas tout simplement « trop » vite ? Est-on en train d’atteindre des limites qu’il ne faut plus chercher à dépasser, sous peine de faire courir trop de risques aux pilotes ? Exercice délicat que celui de faire primer la sécurité, tout en ayant la performance comme raison d’exister. 

Diminué, Fabio Quartararo dû céder face à ses adversaires alors qu’il était parti pour gagner à Jerez.

L’autre « limite » au centre de l’attention, à Jerez, est physique. Elle a gagné les discussions du Grand Prix dimanche après-midi, quand celui qui était alors le patron de la course, Fabio Quartararo, a craqué physiquement, en proie à des douleurs à l’avant-bras droit. Et le problème ne concerne pas que le Français. Danilo Petrucci a aussi eu mal à l’avant-bras droit, comme Aleix Espargaro qui a dû renoncer à son top-5 à cause de ces douleurs.

Quatre Grands Prix ont passé et les opérations du syndrome des loges se multiplient. Fabio Quartararo est le troisième sur la liste, ce mardi, un mois après Iker Lecuona et Jack Miller. Aleix Espargaro y pense aussi, lui qui a déjà subi cette intervention en septembre 2009.

La question à un million : pourquoi ici et maintenant ?

Il y a, d’une part, les exigences du tracé andalou, où sections rapides et virages lents ne font que se succéder. « Ce circuit fatigue beaucoup en MotoGP. Nous n’avons pas un moment pour respirer, ce sont continuellement des accélérations et des freinages », commentait Danilo Petrucci à l’arrivée.

Il y a, surtout, les efforts désormais requis par ces motos aux performances plus foudroyantes que jamais. Le Français Johann Zarco a prononcé le mot magique du week-end, « limite ,» à Jerez : « Ça va tellement vite, parfois on n’est pas tout à fait à l’aise, on sait qu’on peut aller vite, on tente et ensuite le corps arrive un peu à la limite. On accélère plus fort et l’aérodynamique est aussi là pour freiner plus fort, donc physiquement je vois que le corps a évolué avec le temps. SI je n’avais pas gagné en force pure (dans ma carrière), à un moment j’aurais été limité. »

Ancien pilote, multiple champion et présent dans le milieu du sport moto depuis plusieurs décennies, Jean-Michel Bayle confirme observer cette évolution : « Il y a deux ans, quand j’étais allé donner un coup de main à Johann Zarco, j’avais pu constater ce que je pensais depuis un petit moment : les MotoGP progressent et vont de plus en plus vite (plus de puissance, de grip, de freins, anti-patinage), et forcément, les contraintes physiques sur les pilotes augmentent. C’est juste logique. Ce n’est pas étonnant de voir arriver de plus en plus de problèmes physiques sur les pilotes, mal de bras, fatigue, essoufflements. »

Vainqueur à Jerez, Jack Miller sort d’une opération du syndrome des loges. Et il n’est pas le seul.

Sommes-nous, là-aussi, en train d’atteindre une limite ? « Je n’aime pas le mot limite », répond Aleix Espargaro, qui pense, en plus de l’opération, à modifier certains aspects de son pilotage, comme sa position sur la selle de son Aprilia RS-GP.

Épargnés par les problèmes aux avants-bras, les pilotes de la VR46 Riders Academy estiment que leur entraînement intensif à moto – ils roulent plusieurs fois par semaine – y est pour quelque chose. Jean-Michel Bayle partage cette opinion et conseille à Fabio Quartararo de travailler sur sa façon de s’entraîner pour repousser ses capacités physiques. Mais il s’agit aussi d’une question de gestion : « En motocross et supercross, on apprend à vivre avec et surtout à gérer son effort, car si on insiste trop, le syndrome des loges arrive et après c’est incontrôlable. »

En somme, bien se connaître pour savoir se freiner et aller au bout physiquement, parce que le corps à une limite. Parce que, comme le dit Aleix Espargaro, « nous sommes des humains, pas des machines ».

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